Surdétection de l'onde T
Généralités
La surdétection de l'onde T reste encore aujourd'hui un problème significatif de la prise en charge des patients implantés d'un défibrillateur (incidence estimée jusqu'à 8%) et peut s'accompagner de la survenue de thérapies inappropriées particulièrement à l'effort (quand les espaces RT et TR correspondent à la zone de FV). Il est d'usage de différencier d'une part surdétection de l'onde T sur ventricule stimulé et surdétection de l'onde T sur ventricule détecté et d'autre part surdétection de l'onde T sur onde R d'amplitude normale ou surdétection de l'onde T sur onde R d'amplitude réduite.
L'étape cruciale pour minimiser la surdétection de l'onde T est le choix des filtres et de la bande passante qui varient en fonction des constructeurs (différence en termes de filtres passe-haut et passe-bas). La fréquence et la pente (slew rate) caractéristiques d'une onde T (signal mou) sont classiquement moindres que celles d'une onde R (signal plus aigu) avec une fréquence habituelle de moins de 5 Hz même si différentes conditions (médicaments, ischémie, tonus sympathique, anomalies métaboliques) peuvent la modifier. Dans certaines situations, les filtres et les amplificateurs ne permettent pas une différenciation suffisamment large en termes de valeur absolue de l'onde R et de l'onde T, l'amplitude de l'onde T pouvant excéder le seuil de détection.
Une surdétection de l'onde T est associée avec un aspect typique d'alternance entre 2 signaux morphologiquement différents, un signal à haute fréquence (onde R) et un signal à basse fréquence (onde T). Le dispositif compte pour chaque cycle cardiaque, à la fois l'onde R et l'onde T comme un second signal supplémentaire entrainant un doublement de la fréquence cardiaque. L'alternance de la durée des cycles (intervalles RT et intervalles TR) est généralement marquée pour des fréquences lentes (intervalles RT courts et TR longs) mais est souvent moindre à l'effort (intervalles RT et TR à peu près équivalents) ou pour les patients avec QT long.
Trois conditions électrophysiologiques différentes peuvent conduire à la surdétection de l'onde T sur ventricule spontané:
- Onde T retardée: cet aspect est classique chez les patients avec syndrome du QT long où la repolarisation est retardée; l'onde T survient au moment où la sensibilité ventriculaire est maximale. Dans ce type de canalopathie, il existe de surcroit un risque de modifications dynamiques de la durée de l'espace QT induites par les catécholamines mais également de la morphologie et de l'amplitude de l'onde T majorant le risque de thérapies inappropriées à l'effort.
- Onde T de grande amplitude et onde R normale: cet aspect est observé fréquemment dans la myocardiopathie hypertrophique, le syndrome du QT court, certaines formes de QT long, certaines anomalies métaboliques (hyperkaliémie, hyperglycémie) et certaines causes réversibles d'anomalies de la repolarisation (alcoolisation aigue).
- Onde R de petite amplitude: quand l'onde R est de petite amplitude, la probabilité de surdétection de l'onde T augmente du fait de la détection automatique adaptative caractéristique d'un défibrillateur (adaptation du niveau de sensibilité en fonction de l'amplitude du signal précédant). A la suite d'une onde R de petite amplitude, le dispositif atteint rapidement des niveaux élevés de sensibilité favorisant la surdétection de l'onde T.
Une baisse brutale et rapide de l'amplitude de l'onde R après l'implantation peut correspondre à un micro-déplacement de la sonde. Une onde R de petite amplitude peut également être observée chez les patients avec dysplasie arythmogène du ventricule droit, syndrome du Brugada, sarcoïdose cardiaque ou myocardiopathie dilatée altérant le ventricule droit.
La surdétection d'une onde T retardée ou de grande amplitude peut souvent être corrigée en reprogrammant certains paramètres (possibilités différentes suivant les constructeurs) alors que les options de reprogrammation sont très réduites si le problème principal est l'existence d'une onde R de petite amplitude (nécessité fréquente de repositionner la sonde).
Pour corriger ce type de surdétection sans intervenir sur la sonde, différentes options plus ou moins efficaces peuvent être proposées: 1) diminuer la sensibilité ventriculaire avec toutefois un risque important de sous-détection d'une FV particulièrement si l'onde R est de petite taille, 2) allonger la période réfractaire post-détection ventriculaire; cette option est à éviter car très rarement efficace, cette période de blanking étant proposée pour éviter le double comptage de l'onde R et pas pour tenter de supprimer une surdétection de l'onde T; il existe un risque majeur de sous-détection d'une FV si le blanking ventriculaire est programmé trop long (la programmabilité de ce paramètre est de toute manière limitée), 3) programmer une zone de détection au-delà du double de la fréquence attendue durant un effort; cette option n'a pas d'effet sur la surdétection elle même mais a pour objectif d'éviter la survenue de thérapies inappropriées; cette option conduit à une programmation (zone de FV très haute) souvent non acceptable, 4) la prise de bétabloquants peut également être proposée pour ralentir le rythme cardiaque.
Certains constructeurs (sociétés Biotronik et Abbott) permettent la programmation de paramètres spécifiques pour couvrir et ne pas détecter l'onde T: niveau d'adaptation, retard d'adaptation et filtres ventriculaires.
L'alternance en morphologie et/ou en durée des intervalles (algorithmes de stabilité et de morphologie) peut permettre la discrimination entre surdétection de l'onde T et tachycardie ventriculaire tant que la fréquence reste dans une gamme compatible avec le discrimination (pas de discrimination pour les fréquences très rapides).
La société Medtronic a développé un algorithme spécifique qui évite les thérapies inappropriées quand une surdétection de l'onde T a été identifiée. L'objectif n'est pas d'éviter la surdétection mais d'en faire le diagnostic et d'en prévenir les conséquences.
Il est possible sur les défibrillateurs Medtronic de programmer la détection en bipolaire "vraie" et en bipolaire intégrée. Chez certains patients présentant une onde R de faible amplitude, la reprogrammation de la détection en bipolaire intégrée permet parfois d'augmenter la taille de l'onde R et ainsi indirectement d'éviter la surdétection de l'onde T (meilleur ratio amplitude onde R/ amplitude onde T).
Quand aucune option de programmation acceptable n'est possible (particulièrement quand l'onde R est de très faible amplitude), il est alors nécessaire de repositionner la sonde.
L'expérience clinique (plus que les données de la littérature qui sont rares) suggère que le taux de surdétection de l'onde T varie beaucoup en fonction des constructeurs (très faible sur les dispositifs Boston Scientific ou Microport CRM-Sorin, beaucoup plus élevé pour les 3 autres). Dans certains cas, un changement de marque du défibrillateur peut permettre de régler le problème de surdétection.
La surdétection de l'onde T pourrait varier pour un même patient en fonction du positionnement de la sonde; si une nouvelle sonde est implantée, l'opérateur cherche à repositionner l'électrode dans un site permettant une onde R de grande amplitude et un ratio important entre onde R et onde T. Dans les rares cas où aucun site endocavitaire ne permet la détection de signaux d'amplitude suffisante (dysplasie du ventricule droit très avancée par exemple), un positionnement chirurgical épicardique sur le ventricule gauche peut être proposé.